Bretzel liquide, humour noir, propos absurdes et photos étranges

le seul blog art, actualité, photo, gif, video et humour 100% liquide, avec de vrais morceaux de brette zèle liquide dedans !

Home

Aller au menu | Aller à la recherche

Mot-clé - origine du monde

Fil des entrées Fil des commentaires

Michel Tournier : Dimanche ou les limbes du Pacifique

, 07:24

Ketil Born Vendredi ou les limbes du Pacifique Michel Tournier
Michel Tournier : Dimanche ou les limbes du Pacifique

Ketil Born

tag : l'alvéole

Le lendemain le même éclair se produisit, puis douze heures passèrent de nouveau. L’obscurité tenait toujours, bien qu’elle eût tout à fait cessé de créer autour de lui ce léger vertige qui fait chanceler le marcheur privé de points de repaire visuels. Il était dans le ventre de Speranza comme un poisson dans l’eau, mais il n’accédait pas pour autant à cet au-delà de la lumière et de l’obscurité dans lequel il pressentait le premier seuil de l’au-delà absolu. Peut-être fallait-il se soumettre à un jeûne purificateur ?

D’ailleurs il ne lui restait plus qu’un peu de lait. Il se recueillit vingt-quatre heures encore. Puis il se leva et sans hésitation ni peur, mais pénétré de la gravité solennelle de son entreprise, il se dirigea vers le fond du boyau. Il n’eut pas à errer longtemps pour trouver ce qu’il cherchait : l’orifice d’une cheminée verticale et fort étroite. Il fit aussitôt quelques tentatives sans succès pour s’y laisser glisser. Les parois étaient polies comme de la chair, mais l’orifice était si resserré qu’il y demeurait prisonnier à mi-corps. Il se dévêtit tout à fait, puis se frotta le corps avec le lait qui lui restait. Alors il plongea, la tête la première, dans le goulot, et cette fois il y glissa lentement mais régulièrement, comme le bol alimentaire dans l’œsophage. Après une chute très douce qui dura quelques instants ou quelques siècles, il se reçut à bout de bras dans une manière de crypte exiguë où il ne pouvait se tenir debout qu’à condition de laisser sa tête dans l’arrivée du boyau. Il se livra à une minutieuse palpation du caveau où il se trouvait. Le sol était dur, lisse, étrangement tiède, mais les parois présentaient de surprenantes irrégularités. Il y avait des tétons lapidifiés, des verrues calcaires, des champignons marmoréens, des éponges pétrifiées. Plus loin la surface de la pierre se couvrait d’un tapis de papilles frisées qui devenaient de plus en plus drues et épaisses à mesure qu’on approchait d’une grosse fleur minérale, une sorte de concrétion de gypse, assez semblable en plus composé aux roses de sable qui se rencontrent dans certains déserts. Il en émanait un parfum humide et ferrugineux, d’une réconfortante acidité, avec une trace d’amertume sucrée évoquant la sève du figuier. Mais ce qui retint Robinson plus que toute autre chose, ce fut un alvéole profond de cinq pieds environ qu’il découvrit dans le coin le plus reculé de la crypte. L’intérieur en était parfaitement poli, mais curieusement tourmenté, comme le fond d’un moule destiné à informer une chose fort complexe. Cette chose, Robinson s’en doutait, c’était son propre corps, et après de nombreux essais, il finit par trouver en effet la position – recroquevillé sur lui-même, les genoux remontés au menton, les mollets croisés, les mains posées sur les pieds – qui lui assurait une insertion si exacte dans l’alvéole qu’il oublia les limites de son corps aussitôt qu’il l’eut adoptée.

Il était suspendu dans une éternité heureuse. Speranza était un fruit mûrissant au soleil dont l’amande nue et blanche, recouverte par mille épaisseurs d’écorce, d’écale et de pelures s’appelait Robinson. Quelle n’était pas sa paix, logé ainsi au plus secret de l’intimité rocheuse de cette île inconnue ! Y avait-il jamais eu un naufrage sur ses rives, un rescapé de ce naufrage, un administrateur qui couvrit sa terre de moissons et fit multiplier les troupeaux dans ses prairies ? Ou bien ces péripéties n’étaient-elles pas plutôt le rêve sans consistance de la petite larve molle tapie de toute éternité dans cette énorme urne de pierre ? Qu’était-il, sinon l’âme même de Speranza ?

Il se souvint de poupées gigognes emboîtées les unes dans les autres : elles étaient toutes creuses et se dévissaient en grinçant, sauf la dernière, la plus petite, seule pleine et lourde et qui était le noyau et la justification de toutes les autres. Peut-être s’endormit-il. Il n’aurait su le dire. Aussi bien la différence entre la veille et le sommeil était-elle très effacée dans l’état d’inexistence où il se trouvait. Chaque fois qu’il demandait à sa mémoire de faire un effort pour tenter d’évaluer le temps écoulé depuis sa descente dans la grotte, c’était toujours l’image de la clepsydre arrêtée qui se présentait avec une insistance monotone à son esprit. Il nota que l’éclair lumineux marquant le passage du soleil dans l’axe de la grotte eut lieu encore une fois, et c’est un peu après que se produisit un changement qui le surprit, bien qu’il s’attendît depuis longtemps à quelque chose de ce genre : tout à coup l’obscurité changea de signe. Le noir où il baignait vira au blanc. Désormais c’était dans des ténèbres blanches qu’il flottait, comme un caillot de crème dans un bol de lait. Aussi bien n’avait-il pas dû frotter de lait son grand corps blanc pour pouvoir accéder à cette profondeur ?

À ce degré de profondeur la nature féminine de Speranza se chargeait de tous les attributs de la maternité. Et comme l’affaiblissement des limites de l’espace et du temps permettait à Robinson de plonger comme jamais encore dans le monde endormi de son enfance, il était hanté par sa mère. Il se croyait dans les bras de sa mère, femme forte, âme d’exception, mais peu communicative et étrangère aux effusions sentimentales. Il ne se souvenait pas qu’elle eût embrassé une seule fois ses cinq frères et sœurs et lui-même. Et pourtant cette femme était tout le contraire d’un monstre de sécheresse. Pour tout ce qui ne concernait pas ses enfants, c’était même une femme ordinaire. Il l’avait vue pleurer de joie en retrouvant un bijou de famille qui était demeuré introuvable pendant un lustre. Il l’avait vue perdre la tête le jour où leur père s’était effondré sous le coup d’une crise cardiaque. Mais dès qu’il s’agissait de ses enfants, elle devenait une femme inspirée, au sens le plus élevé du mot. Très attachée, comme le père, à la secte des quakers, elle rejetait l’autorité des textes sacrés aussi bien que celle de l’Église papiste. Au grand scandale de ses voisins, elle considérait la Bible comme un livre dicté par Dieu certes, mais écrit de main humaine et grandement défiguré par les vicissitudes de l’histoire et les injures du temps. Combien plus pure et plus vivante que ces grimoires venus du fond des siècles était la source de sagesse qu’elle sentait jaillir au fond d’elle-même ! Là, Dieu parlait directement à sa créature. Là, l’Esprit Saint lui dispensait sa lumière surnaturelle. Or sa vocation de mère se confondait pour elle avec cette foi paisible. Son attitude à l’égard de ses enfants avait quelque chose d’infaillible qui les réchauffait plus que toutes les démonstrations. Elle ne les avait pas embrassés une seule fois, mais ils lisaient dans son regard qu’elle savait tout d’eux, qu’elle éprouvait leurs joies et leurs peines plus fortement encore qu’eux-mêmes, et qu’elle disposait pour les servir humblement d’un inépuisable trésor de douceur, de lucidité et de courage. En visite chez des voisines, ses enfants étaient effrayés par les alternances de colères et d’effusions, de gifles et de baisers que ces femmes criardes et surmenées dispensaient à leur progéniture. Toujours égale à elle-même, leur mère avait imperturbablement le mot ou le geste qui pouvait le mieux apaiser ou réjouir ses petits. Un jour que le père était absent de la maison, le feu se déclara dans le magasin du rez-de-chaussée. Elle se trouvait au premier étage avec les enfants. L’incendie se propagea avec une rapidité effrayante dans cette maison de bois plusieurs fois séculaire. Robinson n’avait que quelques semaines, sa sœur aînée pouvait avoir neuf ans. Le petit drapier revenu en hâte était agenouillé dans la rue, devant le brasier, et il suppliait Dieu pour que toute sa famille fût partie en promenade, quand il vit son épouse émerger tranquillement d’un torrent de flammes et de fumée : tel un arbre ployant sous l’excès de ses fruits, elle portait ses six enfants indemnes sur ses épaules, dans ses bras, sur son dos, pendus à son tablier. Or c’était sous cet aspect que Robinson revivait le souvenir de sa mère, pilier de vérité et de bonté, terre accueillante et ferme, refuge de ses terreurs et de ses chagrins.

Il avait retrouvé au fond de l’alvéole quelque chose de cette tendresse impeccable et sèche, de cette sollicitude infaillible et sans effusions inutiles. Il voyait les mains de sa mère, ces grandes mains qui jamais ne caressaient ni ne frappaient, si fortes, si fermes, aux proportions si harmonieuses qu’elles ressemblaient à deux anges, un fraternel couple d’anges œuvrant ensemble selon l’esprit. Elles pétrissaient une pâte onctueuse et blanche, car on était à la veille de l’Épiphanie. Les enfants se partageraient le lendemain une galette d’épeautre où une fève se dissimulait dans une anfractuosité de croûte. Il était cette pâte molle saisie dans une poigne de pierre toute-puissante. Il était cette fève, prise dans la chair massive et inébranlable de Speranza.

L’éclair se répercuta encore jusqu’aux tréfonds où il flottait de plus en plus désincarné par le jeûne. Or dans cette nuit lactée son effet parut inversé à Robinson : pendant une fraction de seconde la blancheur ambiante noircit, puis retrouva aussitôt sa pureté neigeuse. On aurait dit qu’une vague d’encre avait déferlé dans la gueule de la grotte pour refluer instantanément sans laisser la moindre trace. Robinson eut le pressentiment qu’il fallait rompre le charme s’il voulait jamais revoir le jour. La vie et la mort étaient si proches l’une de l’autre dans ces lieux livides qu’il devait suffire d’un instant d’inattention, d’un relâchement de la volonté de survivre pour qu’un glissement fatal se produisît d’un bord à l’autre.

Il s’arracha à l’alvéole. Il n’était vraiment ni ankylosé ni affaibli, mais allégé plutôt et comme spiritualisé. Il se hissa sans peine par la cheminée où il flotta comme un ludion. Parvenu au fond de la grotte, il retrouva à tâtons ses vêtements qu’il roula en boule sous son bras, sans prendre le temps de se rhabiller. L’obscurité lactée persistait autour de lui, ce qui ne laissait pas de l’inquiéter. Serait-il devenu aveugle pendant son long séjour souterrain ? Il progressait en titubant vers l’orifice quand une épée de feu le frappa soudain au visage. Une douleur fulgurante lui dévora les yeux. Il couvrit son visage de ses mains. Le soleil de midi faisait vibrer l’air autour des rochers. C’était l’heure où les lézards eux-mêmes cherchent l’ombre. Robinson s’avançait à demi courbé, grelottant de froid et serrant l’une contre l’autre ses cuisses humides de lait caillé. Sa déréliction au milieu de ce paysage de ronces et de silex coupants l’écrasait d’horreur et de honte. Il était nu et blanc. Sa peau se granulait en chair de poule, comme celle d’un hérisson apeuré qui aurait perdu ses piquants. Son sexe humilié avait fondu. Entre ses doigts filtraient des petits sanglots, aigus comme des cris de souris.

Michel Tournier : Vendredi ou les limbes du Pacifique

partagez ce bretzel liquide avec vos amis : Partage

les quatre saisons de ton buisson

, 09:03

Rebeca Fleur Four Seasons les quatre saisons du pubis
les quatre saisons de ton buisson

Rebeca Fleur, Four Seasons, les quatre saisons du pubis

tag : aujourd'hui c'est l'automne (Alain Barrière)
alt : dessin de la pilosité pubienne d'une femme, zone de poils situés au niveau des organes génitaux, lors des quatre grandes divisions de l'année, délimitées par les équinoxes et les solstices et caractérisées par un certain climat et par l'état de la végétation

partagez ce bretzel liquide avec vos amis : Partage

les doigts dans la terre humide

, 06:25

Denis Piel les doigts dans la terre humide
les doigts dans la terre humide
Denis Piel

tags : Genèse, origine du monde, tu n'es que poussière, vous ne voulez pas un whisky d'abord ?, dimanche
alt : deux doigts enfoncés dans le sol meuble

partagez ce bretzel liquide avec vos amis : Partage

que la couleur soit

, 06:26

Pascal Chapuis que la couleur soit
que la couleur soit

Pascal Chapuis

tags : genèse
alt : la version incarnée en couleur de la photographie noir et blanc d'un nu allongé

partagez ce bretzel liquide avec vos amis : Partage

l'origine (du monde) des oeufs de Pâques

, 06:57

Cornelie Tollens l'origine des oeufs de Pâques
l'origine (du monde) des oeufs de Pâques

Cornelie Tollens / Gustave Courbet

partagez ce bretzel liquide avec vos amis : Partage

- page 2 de 152 -